Au gré de mes vadrouilles culinaires, j’ai eu l’occasion de rencontrer un ancien inspecteur du Guide Michelin. Soumis au droit de réserve (à vie!), il ne peut pas parler de tout et dire n’importe quoi. Pourtant, il a accepté que je publie – en restant anonyme – ses quelques confidences sur le Guide Rouge. Devenu depuis coach culinaire, il prodigue, au passage, quelques conseils aux chefs. A table!
Comment le Guide choisit les adresses qu’il visite?
Les adresses présentes dans le Guide sont visitées tous les 2 ans. Les étoilés, les Bib Gourmand ou les Bib Hôtels sont eux, obligatoirement contrôlés chaque année.
Depuis toujours, le courrier des clients à une importance considérable pour le Guide. Du courrier positif sur un établissement incitera le Guide à s’intéresser à cette maison. Mais attention, le Guide ne se laisse pas berner facilement et sait reconnaître quand un établissement « fait écrire ». Les avis laissés par les clients sur le site internet du Michelin sont aussi consultés. Demandez donc à vos bons clients d’écrire mais ne rendez pas la démarche artificielle.
Chaque établissement a un « dossier » où se trouvent les courriers des clients mais aussi les articles de presse. Qu’il s’agisse de presse nationale, régionale ou même locale, tout est consigné dans ce dossier. Des travaux? Une nouvelle déco? Invitez la presse à le faire savoir!
Le chef doit-il écrire au Michelin?
Oui, cela ne pourra qu’inciter le Guide à s’intéresser à votre maison. Envoyez un dossier avec vos nouveautés (travaux, décoration, nouvelle démarche auprès des fournisseurs, etc), votre carte, quelques photos de votre établissement, de votre cuisine et de vos plats. Le Guide répond à tous les courriers, sauf si une inspection est en cours. Il est fort probable que le Guide vienne ensuite vous visiter une première fois, en se présentant, pour mieux connaître votre établissement.
Comment l’Inspecteur organise-t-il ses visites?
Chaque année, au mois de janvier, un tirage au sort est effectué pour répartir les départements entre les Inspecteurs. Seuls, les plus anciens peuvent demander à avoir plutôt tel ou tel département. En pratique, un Inspecteur ne reviendra dans un département visité qu’au bout de 7 ans! Inutile donc de constituer un fichier photo affiché dans l’arrière-cuisine!
L’Inspecteur organise sa tournée à l’avance, il n’y a pas d’improvisation sur le terrain ou de choix de dernière-minute.
Sur la Côte d’Azur, vous aurez peu de chance d’être visité en été. « Nous laissons travailler les établissements. Nous savons que c’est la période où ils réalisent leur chiffre d’affaires et il est difficile pour le Guide de trouver des chambres sur la Côte d’Azur en plein été. »
Notre région est étendue, quand l’Inspecteur « descend » de Paris, il vient pour 2 ou 3 semaines. Il y a de fortes chances qu’il vienne sur la Côte après avoir visité les stations de ski, avant leur fermeture, et avant l’ouverture des établissements Corses. Le printemps semble donc la période propice à l’inspection.
Comment se déroule la visite de l’Inspecteur?
Pour une visite, l’Inspecteur se présente, vérifie la propreté et l’entretien de la maison, et en profite pour mettre à jour la fiche de l’établissement.
Par contre, un contrôle s’effectue de manière anonyme, avec une réservation sous un nom d’emprunt. L’Inspecteur est toujours seul et dans presque tous les cas, il s’agit d’un homme.
Mais attention… Le conseil n°1 à respecter? Ne cherchez pas à reconnaître l’Inspecteur! Il arrive sans a-priori dans votre maison alors laissez-le tranquillement faire son travail.
De plus, le savoir en salle va mettre la pression sur vos équipes, et comme le dit l’adage « le mieux est l’ennemi du bien ». C’est en voulant trop bien faire que vous ferez des bourdes! De toute façon, « ce n’est pas en une heure que l’on apprend à faire à manger » rappelle l’Inspecteur, amusé. De plus, votre équipe de salle pourrait en faire trop ou se retrouver stressée, ce que sentira à coup sûr l’Inspecteur expérimenté.
Enfin, si le visiteur anonyme du Guide est reconnu pendant son inspection, il doit le mentionner dans son rapport, le rendant ainsi caduc. Pour résumer, s’il comprend qu’il a été reconnu, il s’est déplacé pour rien!
Faut-il investir dans sa maison pour plaire au Guide?
Notre Inspecteur nous le confirme, cela n’aura pas de conséquence sur l’obtention d’une étoile!
Le Guide a deux classements. Les Fourchettes (Rouges ou Noires) indiquent le confort de l’établissement : service, brigade, arts de la table, décoration, c’est tout ce qui se trouve autour de l’assiette qui est pris en compte. Redécorer votre salle pourra donc vous faire obtenir une fourchette supplémentaire, mais en aucun cas gagner une étoile!
L’étoile, quant à elle, se joue dans l’assiette et uniquement dans l’assiette. « Il arrive que les déçus trouvent des excuses et véhiculent ces idées fausses mais le Guide ne s’attache qu’au jugement de l’assiette pour attribuer les étoiles. Dernièrement, à l’étranger, de toutes petites adresses sans prétention ont obtenus des étoiles. Ecoutez les messages donnés par le Michelin, sans chercher à les interpréter », glisse dans un sourire l’ancien Inspecteur.
Une carte des vins ultra longue, les nappes, l’argenterie ou la présence d’un sommelier ne sont en aucun cas « obligatoires » pour passer de la première à la seconde étoile. « Le Guide n’impose rien, n’oblige à rien, il juge ce qu’il trouve sur place! ». Cependant, notre Inspecteur modère en rappelant que nous sommes sur la Côte d’Azur et que le client n’aura pas les même attentes ici qu’en Corrèze! Le Guide pense à ses clients avant tout.
Enfin, le Guide est sensible à un établissement entretenu. Réaliser de gros investissements et ne plus rien faire pendant 5 ans est une mauvaise stratégie. Préférez un entretien continu, chaque année, faites attention aux détails (nettoyez les traces sur les murs par exemple). Prenez soin de votre maison!
Un conseil de notre Inspecteur qui a retenu notre attention : ne négligez pas votre vaisselle! S’il y a bien un investissement continu à prendre en compte, c’est celui-là. Il vaut mieux des assiettes blanches, simples, propres, sans ébréchures, qu’une vaisselle hors-de-prix abîmée.
Comment l’Inspecteur attribue-t-il les étoiles?
L’Inspecteur est libre dans son choix. Il n’y a pas de quotas géographiques, de zones à privilégier, de consignes données par le Guide Rouge. Il remplit seul son rapport. Si un établissement mérite à ses yeux un macaron, il en parlera avec ses collègues qui viendront à leur tour contrôler l’établissement. « L’Inspecteur a tout intérêt à prendre la bonne décision pour sa crédibilité ».
Quelques conseils pour s’améliorer?
« Il est important que le chef sorte de cuisine, qu’il voit ce qu’il se passe en salle pendant qu’il est aux fourneaux, qu’il se mette à la place du client ». Un exemple concret? Le chef dresse l’assiette debout en cuisine alors que le client la voit assis. Certains détails qui prennent beaucoup de temps ne sont pas perçus de la même façon par le client.
Prenez le temps de vous mettre à la place de votre client, de vous assoir en salle pour goûter les plats de votre carte. « Sortez la tête du guidon » conseille notre ancien Inspecteur avec amusement.
Côté assiette, cela semble une évidence, mais trouver l’équilibre du plat est le nerf de la guerre. Travaillez sur ce point. N’hésitez pas à faire intervenir des personnes de confiance qui vous donneront un avis objectif. Mais attention, il faut être prêt à se remettre en question et accepter quelques critiques 😉
Pour conclure, les étoilés ne représentent que 5% des adresses du Guide Michelin. Si certains s’en font l’objectif d’une carrière, il faut avant tout cuisiner pour le plaisir et la satisfaction de ses clients. Le Guide pense en premier lieu à ses clients, qui sont aussi les vôtres, alors faites comme lui 😉