Le Guide Michelin 2022 a dévoilé son palmarès mardi 22 mars à Cognac. Dans notre région, au-delà de la magnifique troisième étoile de La Villa Madie à Cassis, la moisson a été bien maigre, quasi inexistante dans notre département et non seulement Toulon n’a obtenu aucune nouvelle récompense… mais en a perdues. Une malédiction ? Pas si sûr. Quelques éléments d’explication.
Dans le Var, cette année, ce fut choux blanc, ou presque. Un seul nouveau Bib Gourmand (qui récompense les bonnes petites tables avec un menu à moins de 36 €), pas de nouvelles étoiles, deux étoiles perdues et de nombreux Bib retirés. Mais toujours treize tables dans le Var, de une à trois étoiles, qui maintiennent leur distinction. Très honorable, mais toujours rien à Toulon comme l’a rappelé hier notre quotidien départemental.
» On vous dit pourquoi «
Un article qui m’a interpellé par son titre, « on vous dit pourquoi », avec finalement trop peu d’arguments tangibles. Le Michelin n’expliquant jamais à un chef pourquoi il ne lui a pas mis d’étoiles et ne donnant que très peu d’informations sur ses critères pour en attribuer une, les chefs directement concernés par ces récompenses, n’ont pas toujours le recul nécessaire à l’analyse et on ne leur jettera pas la pierre.
Ce qui m’interpelle c’est plutôt la démarche de cet article. Le travail du journaliste n’est-il pas de vérifier un tant soi peu les propos qu’on lui rapporte ? De se renseigner quand on ne maîtrise pas le sujet ? Pourquoi n’avoir pas demandé une analyse éclairée au chroniqueur culinaire attitré du journal, Jacques Gantié, ou l’avis de personnes spécialisées dans l’univers de la gastronomie, comme l’a fait Le Télégramme en Bretagne en interrogeant le journaliste culinaire Olivier Marie (qui est d’ailleurs rédacteur en chef d’un magazine édité par le concurrent, quelle belle ouverture d’esprit !) Reste que les commentaires suscités sous l’article ne valorisent pas franchement la restauration toulonnaise. Pas très constructif tout cela.
NB / Le Michelin ne communiquant que très peu sur ses critères, mes réflexions reposent sur mes observations à force de sillonner les restaurants (gastronomiques ou non d’ailleurs) depuis dix ans. Pas de science exacte possible dans ce domaine (c’est un euphémisme !).
Le Guide Michelin à Toulon
Six restaurants cités dans le Guide. Les bonnes tables que sont Tables & Comptoir, Le Local, Beam !, Au Sourd et Racines. Et c’est tout. Le Petit Instant qui y figure est fermé depuis plusieurs mois. Il n’y a plus « d’Assiette » cette année. Donc soit vous êtes simplement mentionnés, ce qui représente tout de même l’avantage d’être visible dans le Guide, mais concernant les récompenses, on parle de Bib Gourmand, d’étoile ou d’étoile verte (pour la démarche durable), et rien de plus.
Il y a encore peu, nous avions trois Bib Gourmand à Toulon : le Carré 2 Vigne qui a jeté l’éponge à Toulon pour ouvrir une maison d’hôtes au Beausset, Le Local qui ne rentre plus dans les critères de prix de cette distinction, et Beam ! qui l’a perdue cette année. Mais pas d’étoile depuis trop longtemps.
Pour autant, on ne manque pas de bonnes tables à Toulon. Dire qu’il n’y a rien (comme dans les commentaires de ce fameux article) est mal connaître la dynamique culinaire de la ville. Les choses ont beaucoup bougé depuis plusieurs années, et je peux affirmer qu’en se renseignant (en lisant Le Var des Gastronomes par exemple !), vous trouverez plus d’une table où l’on mange très bien. Maintenant, de là à passer le cap de l’étoile, il y a un monde. Je ne m’attendais à aucune étoile varoise cette année, les tables au niveau sont déjà récompensées et maintiennent leurs distinctions.
Alors pourquoi pas d’étoile à Toulon ?
Toulon est une des rares villes de France de cette taille sans distinction étoilée. Une ville « pas assez sexy » qui serait boudée par le Guide Rouge ? Pas si sûr. Il y a quelques mois paraissait un guide touristique édité par Michelin sur la destination (avec quelques bonnes adresses mentionnées d’ailleurs…)
Est-ce que Lorient ou Cherbourg sont « the place to be » ? Ces villes à taille comparable comptent pourtant des tables étoilées. Benjamin Collombat avait bien réussi à décrocher l’étoile dans une rue perdue de Draguignan… Toulon est moins en vue que Saint-Tropez certes, mais la ville où l’on est installé est-elle un critère pour avoir l’étoile ? Je ne crois pas, regardez le Guide au niveau national, la géographie est très variée.
Tout dans l’assiette… vraiment ?
Malgré cette affirmation du Guide, « le jugement ne se fait que dans l’assiette », je reste convaincue que le service complète de manière significative l’expérience, pas seulement du point de vue du Guide mais aussi – et surtout – pour le client.
Absolument tous les restaurants étoilés où je suis allée (et ça commence à en faire un certain nombre…), assurent un service au cordeau : timing du service, service de l’eau et du vin, amuse-bouches, mignardises, carte des vins étoffée, amabilité et courtoisie, jolis arts de la table, etc, tous répondaient à ces critères. En complément d’une assiette identitaire, des produits locaux, une cuisine élégante et raffinée, « qui vaut l’étape ». Et une régularité sans faille. Cela fait beaucoup de cases à cocher ! Si aujourd’hui, la table nappée n’est plus nécessaire pour assurer le chic d’un restaurant étoilé, des sets de tables en papier, des serviette jetables ou des verres Ikea sont rédhibitoires pour le Guide… Une expérience complète que peu de restaurants proposent à ce niveau là.
Une table étoilée, forcement chère ?
Pour les Bib Gourmand, il y a un critère de prix (un menu à moins de 36€), qui, dans les faits, est de plus en plus difficile à tenir pour le restaurateur : loyers, charges salariales, matières premières qui augmentent de manière folle, certains, comme Le Local ou le Bello-Visto à Gassin, ont préféré se passer de la distinction pour avoir la liberté de leurs tarifs et assurer la viabilité de leur entreprise, on les comprend.
En revanche, pour l’étoile, tout est possible, regardons ailleurs ce qui se fait : Les Agitateurs à Nice a obtenu son étoile en 2021 avec des menus à 26 € le midi et 49 € le soir, l’Hostellerie La Montagne à Colombey-les-deux-Eglises est l’étoilé le moins cher de France avec un menu à 28 € le midi et 35 € le soir, Le Relais des Moines aux Arcs-sur-Argens, plus proche de deux étoiles que d’une, affiche toujours un menu déjeuner à 58 €.
Dire qu’il n’y a pas la clientèle à Toulon pour mettre ce prix dans un restaurant revient à mettre la faute sur le client. Les tickets moyens de certains restaurants à Toulon dépassent (plutôt au dîner, le déjeuner étant encore une autre histoire…) les 50 €, tout dépend si le positionnement du restaurant est cohérent, à quelle clientèle on s’adresse et si le client en a pour son argent. Le fameux rapport qualité-prix-plaisir. Il y a une clientèle pour la gastronomie, l’offre créé la demande, les toulonnais font bien la route pour aller manger étoilé… ailleurs !
Sans brigade de cuisine, pas d’étoile ?
Là, encore je n’y crois pas ! Geoffrey Poësson, La Badiane à Sainte-Maxime, pour ne citer qu’un exemple, avait obtenu son étoile en étant seul en cuisine avec son maître d’hôtel en salle. L’exercice résidant dans la capacité à assurer une prestation ultra-régulière à seulement deux. Mais c’est possible. En revanche, très souvent après avoir obtenu l’étoile, l’équipe s’agrandit pour s’assurer de maintenir la qualité et la régularité. Et là, les prix augmentent peu à peu pour amortir la masse salariale.
Faut-il payer pour être dans le Guide ?
Ca, c’est un mythe vieux comme le guide Rouge ! « Il faut s’abonner au site du Michelin pour être cité », « il faut aller voir le Guide pour défendre son projet », « il y en a qui achètent leur étoile », une ritournelle qui revient régulièrement dans les cuisines. A mon sens, rien n’est plus faux. Dire qu’il faut acheter l’étoile revient à minimiser l’énorme travail réalisé par les chefs étoilés, j’ai connu aussi des chefs qui sont aller à Paris voir le Guide… et qui ont attendu leur étoile ! Le Michelin s’entoure aujourd’hui de partenaires pour financer ses dépenses, la cérémonie de Cognac en est l’illustration. Le Michelin déteste qu’on lui dise ce qu’il devrait faire, c’est bien ça qu’il faut garder en tête !
Alors, où sont les raisons ?
Chez nous, à la différence d’autres régions, il y a la question du prix de l’immobilier. Investir à Toulon n’est pas la même chose qu’en Auvergne. Et c’est là où le bas blesse : un jeune chef, même bourré de talent, avec tout le potentiel étoilable, peut-il convaincre les banques de le suivre pour s’offrir un cadre élégant ? Si Thibaud Durix a tout le potentiel et le talent pour décrocher cette étoile, il ne dispose aujourd’hui que d’une minuscule cuisine dans son Local. Dans ces conditions et à long terme, pour assurer la qualité de sa prestation, je ne suis pas certaine que l’étoile serait un cadeau.
Et les chefs étoilés vous le diront, même si le Michelin s’en défend, une étoile coûte cher en investissements et en masse salariale. Selon moi, c’est là la raison essentielle : a-t-on aujourd’hui des chefs avec l’envie de prendre des risques économiques pour investir dans la gastronomie, sans garantie de résultat étoilé ni de rentabilité immédiate ? Actuellement, de très nombreuses tables étoilées sont accolées à un groupe, à un hôtel ou à des investisseurs. A-t-on un investisseur à Toulon prêt à parier sur un chef pour lui donner tous les moyens, comme Stéphane Manigold l’a fait à Paris avec Tom Meyer qui vient de décrocher l’étoile à Granite. Enfin, la nouvelle génération tient à sa liberté, à rester maître de ses choix sans forcément dépendre d’actionnaires, là aussi on les comprend.
Et la volonté municipale là-dedans ?
Avez-vous déjà vu la communication de la Ville mettre en avant ses chefs, ses talents, ses restaurants de qualité ? L’office de tourisme miser sur ses atouts culinaire pour attirer les touristes ? A l’exception des nouvelles Halles, de trop rares fois…
Visit Var, l’agence de développement du tourisme, s’y met (et ils savent à qui demander quand ils ont besoin d’adresses !), Dracénie Tourisme excelle en la matière en valorisant régulièrement la destination à travers l’offre gastronomique et les chefs de leur territoire. Avec trois tables étoilées, deux Bib Gourmand et six tables référencées dans le Guide rouge, la dynamique est payante.
Si elle ne fait pas tout, une volonté politique forte pour faire de son territoire une destination culinaire soutient indéniablement le dynamisme des restaurateurs et créé une boucle vertueuse. Alors, ne faudrait-il pas que la Ville s’investisse un peu plus dans ses relations avec ses chefs et restaurateurs ? Ne pourrait-elle pas écouter leurs demandes et accompagner ces talents ? Ne pourrait-elle pas aider un jeune chef à trouver un lieu à sa hauteur ? Ne pourrait-elle pas intégrer dans sa communication les meilleures tables de la ville pour mettre en lumière le savoir-faire de ces chefs ? Ne pourrait-elle pas développer un vrai projet de destination culinaire comme l’ont fait Marseille ou Rennes avec succès ? (Coucou Monsieur le Maire, je suis là si vous en avez la volonté !) Car si une chose est sûre, plus vous faites parler de vous, plus vous aurez de chance que ça finisse par arriver aux oreilles du Guide Rouge.
Alors simple à avoir l’étoile ?
Loin de là ! Même en s’entourant de consultants hors de prix pour « aller chercher l’étoile », rien n’est jamais joué avec le Michelin qui tient à l’indépendance de ses choix. Et somme toute, cela reste un débat marginal, 99% de la restauration se passant des étoiles. L’essentiel reste, à mes yeux, qu’au fil des ans notre restauration à tendance à aller vers plus de qualité, vers plus de produits locaux, de respect des saisons, à aller vers un métier de véritable artisan, que les chefs se font plaisir dans leur cuisine et font plaisir à leurs clients. Nous regorgeons de bonnes tables, excellentes pizzerias, bons bistrots ou restaurants gastronomiques, avec une belle diversité, que ce soit à Toulon ou dans le Var. Tout ça n’est qu’un débat qui agite chaque lendemain de palmarès les cuisines, un débat centenaire… comme le Guide Rouge !
Merci pour cette objective mise au point Marie!
Merci de ton retour Frédéric ! 🙏
On est bien d’accord chère Marie !
Venant de ta part Christian, ça me touche beaucoup ! ☺️
je suis bien d’accord avec cette analyse de l’article de Var Matin, néanmoins je crois également que les inspecteurs ne visitent pas tous les ans leurs étoilés… car sinon j’en connais au moins un varois qui ne l’aurait plus et ce ne serait que justice, sauf à penser que le nom du propriétaire y soit pour quelque chose…mais lion de moi cette vilaine idée !
Merci Xavier !
Ça me semble assez sûr que les visites ne sont pas annuelles pour tous.
Cette année – à mon avis – les inspecteurs ont fait peu de visites dans le Var mais beaucoup en Bretagne…